Création : le 16 mai 2009, Festival Les Musiques, Marseille
Effectif : clarinette, basson, violoncelle, trois percussions et électronique
Commanditaires : Ministère de la Culture, GMEM
Shel(l)ter est un cycle de quatre pièces qui se réfère à un espace très spécifique, l’un des abris anti-atomiques de Berlin. Le redoublement de la lettre « l » condense les mots « shell », (« coquille » ou « carapace », en anglais) et « shelter » (« abri »), qui évoquent la tentative de protéger le corps contre toute agression. Mais « shell » désigne également un obus, et la double polarisation de ce mot souligne alors l’absurdité, constante chez l’être humain, qui consiste à construire à la fois des objets de destruction et des objets qui protégeraient de cette destruction. Placée à l’intérieur de parenthèses, ce « l » redoublé signale à la fois une butée et la bifurcation ou la transformation d’un élément répété, une rupture, une mutation de la structure d’un matériau donné ou d’une situation, ainsi qu’une séparation ou un enfermement, l’effet pervers autodestructif que toute protection est également susceptible d’induire quand elle débouche sur l’isolement. Dans Shel(lter, on pourrait parler de « nanomusique » (référence aux nanosciences qui observent et manipulent des objets à l’échelle atomique), dans la mesure où cette mobilité et cette transformation des propriétés du tissu musical résultent de microprocessus qui agissent sur les particules sonores, engendrent des variations de masses, de formes et de parcours, mais aussi des résistances ou des persistances. L’atomique nous rappelle ainsi que tout est particule, tout est atome, le champ sonore n’étant qu’un des possibles du champ infini de la matière. Dans cette première pièce du cycle, le sous-titre später… ( ) … Winter – qui signifie en allemand « plus tard… ( ) …hiver » fait allusion aux hypothèses d’un hiver nucléaire qui succéderait à l’explosion de plusieurs bombes.Selon les modélisations proposées par les scientifiques, dans une situation de ce type, de grandes quantités de fumée et de cendres, générées par la combustion de plastiques et de carburants à base de pétrole, seraient injectées dans l’atmosphère terrestre et produiraient un tel état climatique. La formation d’une couche de particules réduirait le rayonnement solaire de façon très importante. Des nuages noirs et épais se formeraient alors et absorberaient la lumière induisant ainsi des conditions météorologiques extrêmement froides. La pièce s’articule autour de cette dialectique entre, d’une part, une extrême perturbation de la matière musicale, des phénomènes qui miment la fusion, la fission ou la réaction en chaîne nucléaires, et d’autre part – principalement avec l’électronique -, une coagulation élastique des masses sonores qui glissent comme des coulées de lave, et peuvent aussi bien évoquer les couches instables décrites par la géologie, ou un effondrement de terrain, qu’un état de traumatisme psychique vécu comme une sorte de suspension temporelle, un gel des facultés mentales ou l’impression d’un chavirement intérieur.La fission nucléaire est le phénomène par lequel un gros noyau d’atome se désintègre en plusieurs fragments plus petits, avec une émission de neutrons qui dégage une énergie très importante.Dans la réaction en chaîne, chaque neutron émis lors de la fission d’un noyau atomique peut à son tour provoquer la fission d’un autre noyau, et ce processus pourra ainsi se multiplier. Une bombe A est conçue pour déclencher délibérément une réaction en chaîne.L’écriture musicale est donc « atomique ». Elle résulte d’un assemblage de particules infiniment petites qui forment des objets compacts et qui, l’énergie s’accumulant, explosent dans l’espace sonore et disséminent leurs composants.Elle est aussi « génétique ». Les bouleversements induits dans la matière rappellent ceux que l’on peut décrire sur le plan chromosomique, avec la possibilité d’erreurs de réplication, de cassures, de permutations des micro-éléments. Toutes ces infimes modifications engendrent alors des déformations et des formes nouvelles (ou mutantes).
Clara Maïda, novembre 2010