Création : 27 septembre 1988 au Festival Musica (Strasbourg)
Commanditaire : Ministère de la Culture et de la Communication
Dédicataires : Percussions de Strasbourg
Effectif : 6 percussionnistes
Durée : 11′
La percussion n’est-elle pas la compagne attitrée de la musique européenne ? de compagne, la voilà devenue autonome au XX° siècle. Autonomie ambiguë. Qu’entendons-nous dans la percussion seule ? Certes, toute la richesse combinatoire qui est signifiée par le cantonnement percussif – comme une sorte de musique « abstraite », litote du musical – mais aussi l’euphorie et la spontanéité sonore d’un langage qui naquit dans l’influence des premières musiques concrètes inventées au studio. Nous avons assisté aussi à une inflation d’instruments particuliers venus de cultures extra-européennes. Cette irruption de la percussion dans la musique contemporaine confirmait l’évolution de plusieurs siècles d’écriture occidentale, et la libération d’un matériel apparemment trop souvent limité à un rôle de machine à rythmes, encombré de souvenir de marches viriles et de folklore. Mais aujourd’hui la progressive maîtrise du son par la technologie pourrait peut-être nous amener à reconsidérer le rôle de cet instrumentarium. Comment appréhender le matériau brut d’instruments souvent créés dans des civilisations musicales qui ne sont pas basées sur la pensée de l’écriture ? Utilisés pour eux-mêmes, ces instruments signifient aussi la limite d’un matériuau fondamentalement non occidental, c’est-à-dire conçu sans technique combinatoire. C’est là peut-être la différence irréductible entre un violon et un piano d’une part, et un gong balinais d’autre part. Quelles que soient les richesses harmoniques de ce gong, sa « maléabilité » est limitée par essence. A moins que les virtualités sonores de ce gong soient explicitées par un orchestre. Mais n’y a-t-il pas justement dans ce matériau brut offert aux compositeurs de nouvelles manières d’explorer la mise en vibration de la matière qui ne se cantonneraient plus à la frappe ? Dans Voûtes, j’ai travaillé sur l’idée de l’éclat du cuivre provoqué par des chutes tournoyantes sur des surfaces réfléchissantes. Il s’agit d’une étude sur de nouvelles transitoires d’attaques non restreintes au percussif. De plus, de par son caractère limité, la percussion exprime au delà de la percussion : ce que l’on pourrait appeler l’énigme du son. Ainsi la chûue, l’éclat du cuivre dans la résonance d’une voûte m’évoque – par litote acoustique – l’éclat de la voix et le rire. Cette orchestration de cuivre est soutenue en pédale par de grands vases chinois mettant en vibration, par sympathie sur des fréquences très précises, des caisses claires. Je retrouve dès lors ce privilège du matériau « percussion », l’interférence d’un corps sonore sur un autre, le phénomène d’un ébranlement et l’évocation du souffle. Tout au long de cette oeuvre, ces nouvelles transitoires d’attaques deviennent comme des structures de développement. Il en résulte une variation continue sur trois modes (trois courtes pièces : Tournoiement du cuivre = sanglot, voûte, pulvériser) obtenus par l’utilisation contrôlée des diamètres des métaux, des caractéristiques des surfaces réfléchissantes, des temps de résonnances et des vitesses des chûtes circulaires. La polyphonie rythmique n’est plus limitée à la scansion. Avec Voûtes je tente de nouvelles écritures du « faire-sonner ».
Michaël Levinas, Août 1988