Création : 23.06.1966 à Strasbourg
Durée : 22′
Effectif : 6 percussionnistes, voix, piano, avec chef
Dédicataires : Percussions de Strasbourg
Composé pour six batteurs, voix et piano en 1966, à l’intention du Groupe instrumental des percussions de Strasbourg, qui le créa en cette ville le 23 juin 1966, Chant après chant appartient au deuxième Livre de La Mort de Virgile, vaste cycle conçu autour du roman de Hermann Broch, ce second livre évoquant « l’angoisse nocturne qui décide un créateur, au seuil de la mort, à détruire son œuvre ». De ce fragment de La Mort de Virgile, Barraqué projetait de réaliser plusieurs versions aléatoires, l’une d’elles devant être réservée aux seuls instruments à percussion. Dans la version originale que voici, le piano et la voix se joignent aux six pupitres de percussions, lesquels réunissent près de cent quarante instruments appartenant à plus de trente espèces différentes (parmi celles-ci : Mokoubyos, timbales créoles, gongs thaïlandais, etc.).
Un emploi aussi large des instruments à percussion, aux « possibilités parfois riches mais souvent restreintes », note le compositeur, « influence l’écriture proprement dite ; celle-ci est donc souvent dirigée, infléchie en fonction d’impératifs purement sonores qui déterminent la fluctuation du discours musical dans le commentaire formel. Une famille de timbres, considérés comme de véritables agents moteurs (avec, aux extrémités, les instruments à résonance longue opposés aux instruments à attaque brève et, au centre, les instruments à possibilités multiples), permet, malgré le voisinage des sons déterminés et des sons indéterminés, une articulation de nature sérielle sur le plan polyphonique ». En dépit des limitations instrumentales inscrites dans le programme même de l’oeuvre, celle-ci fait état d’une texture très complexe, où les intensités jouent un rôle essentiel. Le compositeur a été amené à ouvrir au maximum l’éventail de la dynamique ; cela est particulièrement sensible dans les nombreux effets de roulement qui traversent l’oeuvre : certains d’entre eux vont du pianissimo le plus ténu au paroxysme de la force. Aux vagues et au crépitements des batteries, le piano oppose une écriture quelquefois pointilliste, souvent somptueuse, qui s’insère dans le dispositif sonore comme un corps étranger et lui confère un surcroît de tension.
Curieusement, la voix prédomine moins dans Chant après Chant qu’elle ne le fait dans Séquence. Elle se glisse plutôt, parfois furtivement, dans l’espace ajouré d’une polyphonie dont la densité est variable. En quelques occasions, elle s’en échappe pour un cri aussitôt étouffé. Pourtant le texte chanté a sans doute plus de poids qu’il n’en a dans Séquence. Il commande la composition de l’oeuvre. Barraqué l’a établi lui-même, en empruntant des lambeaux de phrases à Hermann Broch et en les sertissant dans un commentaire poétique qu’il a librement rédigé. Le tout, est asymétriquement disposé autour de la figure centrale : « Mers de Silence », que murmure la voix un instant abandonnée des instruments. Cette figure centrale, précédée et suivie d’un long « arrêt » (pour employer la terminologie de l’auteur), est un des avatars du triptyque silence- son- silence, un des motifs principaux de La Mort de Virgile.
Oeuvre épique, œuvre paroxysique, Chant après Chant occupe, dans La Mort de Virgile, une situation que nous aurions pu réellement apprécier si le second Livre avait été achevé. Tel quel, cet important fragment constitue, au même titre que le Temps restitué, un tout dont on appréhende l’unité sur le plan du style vocal, instrumental et poétique, ainsi qu’ au niveau moins accessible de la forme.
André HODEIR